top of page

LA NOTION DE TRAUMA SELON FERENCZI et ses effets sur la recherche psychanalytique ultérieure

Par Judith Dupont, psychanalyste française, printemps 2000




On n'a pas fini de discuter autour de la nature du trauma son ou ses mécanismes, son niveau d'action, les facteurs impliqués. Sans parler de la controverse historique et classique entre trauma psychogène ou exogène, événement réel ou fantasme, ou alors les deux, mais dans quelle proportion?


On peut donc aborder le problème du trauma sous plusieurs angles : par exemple celui de l'événement réel, objectif, ou celui du fantasme pathogène subjectif. Par ailleurs, dans le cas d'un événement traumatique objectif, peut-on faire entièrement abstraction de la nature de l'événement en question pour comprendre ce qui se passe? Répondre affirmativement n'implique pas la négation de cet événement extérieur, mais la prise en compte exclusive de la réaction du sujet. Cette position peut se défendre, puisqu'on a pu maintes fois constater que les mêmes événements traumatiques n'ont pas nécessairement les mêmes effets.


Au cours du traitement, le psychanalyste ne cherche pas à vérifier ce qui s'est effectivement passé. Il ne s'occupe que de ce dont témoigne le patient dans la cure. L'événement réel n'apparaît que sous forme de reconstruction à partir de ce témoignage. Peut-on dire pour autant que ce niveau réel n'a aucune importance? Le désintérêt total de ce niveau réel ne risque-t-il pas d'ébranler la confiance du patient et compliquer la relation transférentielle, de part et d'autre?


Le traumatisme est-il intégrée dans la cohérence de la psyché traumatisée de la même façon que le serait un fantasme endogène, ou bien observe-t-on une sorte de fracture dans cette cohérence? On pourrait objecter que les effets du fantasme pathogène se manifestent aussi comme une rupture dans la cohérence intérieure. Mais peut-être pas au même niveau qu'une irruption brutale du monde extérieur? Mais est-ce l'excès d'émotion suscitée qui produit cette rupture, ou bien l'action directe du trauma exogène?


De fait, les interrogations s'accumulent en ce qui concerne le trauma, ses mécanismes, ses effets, sa prévention, son traitement.


Par exemple, l'effet traumatique dépend-t-il de l'importance, de l'intensité, des circonstances du trauma, ou bien de la réaction du sujet à celui-ci? Et d'ailleurs, qu'est-ce qu'un événement traumatique? Sauf cas extrêmes, peut-on définir ce qui sera traumatique ou non, sans en avoir vu les effets? Des traumas indécelables de l'extérieur peuvent-ils provoquer des effets de choc? Peut-on dire que des événements traumatiques, qu'ils soient spectaculaires ou invisibles de l'extérieur, se combinent toujours à la vie fantasmatique pour déclencher un effet traumatique? Ou alors, existe-t-il des chocs traumatiques tels qu'ils inhibent toute activité de fantasme? Dans l'affirmative, est-ce l'intensité ou peut-être le caractère inattendu de l'événement qui aurait cet effet d'inhibition?


Parmi toutes ces interrogations, peut-être peut-on risquer une affirmation : la précocité du trauma, survenant chez des personnalités encore peu structurées et mal protégées en aggrave certainement les effets. Peut-être implique-t-elle aussi des mécanismes différents selon le degré de développement de la personnalité au moment où le traumatisme survient.


L'observation clinique nous montre l'extrême diversité des traumas et de leurs effets; la notion de microtrauma répétitif tente de rendre compte des chocs en quelque sorte invisibles à l'oeil nu, qui ont pourtant des effets traumatiques évidents, parfois d'une intensité considérable. Certes ce n'est pas à l'analyste d'établir ce qui est réalité objective ou réalité psychique : mais peut-on dire pour autant qu'il n'y a aucune différence entre les deux?


C'est au milieu de toutes ces perplexités que j'aborde la question du trauma selon Ferenczi, suivi d'une étude rapide de trois visions du trauma qui se réclament explicitement de Ferenczi : celle de Michael Balint, celle de Nicolas Abraham et Maria Torok, et celle de Leonard Shengold. Bien d'autres auteurs mériteraient d'être cités, dont les recherches sur le traumatisme reprennent, explicitement ou non, certaines idées de Ferenczi (Mélanie Klein, Winnicott, Masud Khan, Margaret Mahler, et bien d'autres). La plupart d'entre eux se rencontrent sur un point : la mise en évidence d'un trauma originel, voire archi-originel, dont on retrouve la trace derrière tout effet traumatique ultérieur. Ainsi, Freud, avant Rank, évoque le traumatisme de la naissance dans la 25ème leçon de l'Introduction à la psychanalyse, celle intitulée « Angoisse; Ferenczi parle des catastrophes survenues au cours du développement de la vie sur terre; Hermann du trauma du décramponnement imposé à l'enfant d'une mère dépourvue de pelage et menacée par les dangers de l'environnement.


***


Commençons donc par Ferenczi. Il a souvent été accusé, y compris par Freud, de revenir à une conception périmée du traumatisme, celle que Freud lui-même a abandonnée en 1897 (voir sa lettre à Fliess du 21 septembre 1897), lorsqu'il s'est rendu compte que les événements traumatiques rapportés par ses patients hystériques étaient souvent non des faits, mais des fantasmes. Cependant, cet abandon n'est ni absolu, ni définitif : il ne cesse de revenir au problème du traumatisme, jusqu'à la fin de ses jours, et jusque dans son dernier ouvrage, L'homme Moïse et la religion monothéiste, où il étudie l'analogie entre l'histoire de la religion juive et la genèse des névroses : dans les deux on retrouve un événement traumatique précoce, oublié par la suite, une période de latence, puis une manifestation insolite apparemment inexplicable. Le processus résumé ici ressemble étrangement à celui proposé par Ferenczi. Or, souvent, on compare, confronte ou oppose Ferenczi à Freud sur ce point, cherchant à valider l'un au dépens de l'autre. On revient ainsi sur un aspect du désaccord survenu entre Freud et Ferenczi au cours des années trente. Nous avons vu que Freud n'a jamais été tout à fait satisfait de sa 21 La notion de trauma selon Ferenczi et ses effets sur la recherche psychanalytique ultérieure théorie du trauma et n'a jamais cessé de la remanier et de la compléter. Dans les années trente, ce désaccord portait notamment sur le fait de savoir s'il y avait ou non toujours un trauma réel à l'origine des névroses, sur le mécanisme d'action de celui-ci, et principalement sur les techniques permettant d'y accéder.


Ferenczi soutenait que le trauma réel était beaucoup plus fréquent que Freud ne le pensait alors, et même toujours présent si l'on parvenait à aller suffisamment au fond des choses.


Voici comment Ferenczi concevait l'origine, le mode d'action et les techniques de traitement du trauma :


Il s'agit toujours d'un trauma d'ordre sexuel. Sa nature, son mode d'action, les tentatives thérapeutiques sont particulièrement bien développées dans le Journal Clinique de Ferenczi.


Au demeurant, Ferenczi abordait le problème tout à fait différemment que Freud, ne fût-ce que parce que ce dernier, à cette époque, était beaucoup plus intéressé par la théorie analytique que par l'aspect thérapeutique de l'analyse; son pessimisme thérapeutique s'exprimait d'ailleurs sans fard dans sa correspondance avec Ferenczi. Ferenczi, bien que son apport théorique soit fondamental et le point de départ de bien des développements modernes, était un thérapeute convaincu; il multipliait les expériences techniques, visant à sécuriser suffisamment ses patients traumatisés pour leur permettre de remonter jusqu'au trauma à l'origine de leur maladie. Mais il estimait qu'il s'agissait d'un trauma subi dans la petite enfance, qui n'a jamais été vécu consciemment et ne pouvait donc être remémoré au moyen de la technique dite classique. Ferenczi décrit le trauma comme un choc, une commotion, qui fait éclater la personnalité. Il a cherché à décrire le clivage qui en résulte par toutes sortes d'images : clivage d'une partie morte, tuée par la violence du choc, qui permet au reste de vivre une vie normale, mais avec un morceau de la personnalité qui manque, qui reste hors d'atteinte, comme une sorte de kyste à l'intérieur de la personnalité; ou encore, sous l'effet de chocs répétés (comme dans le cas de RN par exemple), il parle de clivages multiples, qui peuvent aller jusqu'au morcellement en fragments innombrables, l'atomisation. Comme si la personnalité agressée se fragmentait pour se sauver dans tous les sens, augmentant ainsi la surface à opposer au choc. Notre collègue de Montréal, Marcel Hudon, a résumé toute l'évolution de cette notion de Ferenczi, de l'autotomie des débuts jusqu'à l'atomisation des années trente, dans un article très éclairant paru dans le bulletin de l'association montréalaise. Nous savons comment Nicolas Abraham et Maria Torok ont formulé leurs conceptions à propos des effets du trauma, conceptions qui trouvent assurément une partie de leurs racines dans la théorie ferenczienne.




 
 
 

Comentarios

Obtuvo 0 de 5 estrellas.
Aún no hay calificaciones

Agrega una calificación
Liste de posts
Archives
Rechercher par Tags
Retrouvez-nous
  • Frederique Le Ridant
  • Instagram
  • Pinterest
  • X
  • TikTok
  • Twitter Basic Square
bottom of page